dimanche 17 avril 2011

Que penser du Revenu citoyen ?

C'est donc le nouveau reliquat de Dominique De Villepin. Sensé transformer l'ordre social, il assure à tous les citoyens un revenu minimum de 850€, et dégressif jusqu'à 1500€. Cette idée, du point de vue de la théorie économique peut paraître géniale car elle créée un consensus inespéré - sur certains points - entre les libéraux d'une part, et les socialistes de l'autre. Nous y reviendrons. Néanmoins, dans la réalité, il semble impossible de dire ce qui se passerait si il était instauré, tant les préjugés sont nombreux à ce sujet. Ainsi entendons-nous régulièrement que les gens s'arrêteront de travailler, par exemple. Dans la rédaction de ce billet, il m'a semblé judicieux de confronter des arguments issus de la théorie économique, mais aussi certains arguments du libéral Guy Sorman, et du très keynésien Bernard Maris. Enfin je rajouterai des arguments qui complèteront l'analyse.

Comme le souligne judicieusement le blogueur Yann, cette idée est jugée bénéfique par les plus libéraux. En effet, celle-ci ferait coup double. D'une part, elle permettrait l'arrêt de la fraude aux aides sociales : le paradis libéral ! D'autre part, elle pourrait conduire à la fin de mesures comme le SMIC et simplifierait les attributions d'aides sociales. Autrement dit, fin du clientélisme selon eux. Expliquons nous. Dans un monde où tout le monde toucherait une certaine somme, ici 850€ ; en l'absence d'autres allocations, il serait inutile d'essayer de travailler moins pour gagner moins et de fait, toucher les aides sociales. De là la célèbre scène mimée par Reagan où il met en action un salarié qui supplie son patron de lui baisser son salaire afin de bénéficier des aides sociales. Certes, tous le monde n'en profite pas alors que dans l'optique libérale tout le monde - même les riches - devrait en profiter. Cependant étant donné sa dégressivité, pas grand monde serait tenté de passer sous la barre des 1500€ pour gagner quelques euro de plus. Et puis, étant donné la dignité qu'il confère, même en période de chômage cela pourrait conduire à la suppression du SMIC souhaitée par les libéraux. En outre, on peut imaginer que si De Villepin était élu président de la République, celui-ci ferait appliquer cette nouvelle loi tout en supprimant les aides pléthoriques que l'État offre aujourdh'ui. On peut penser aux APL, par exemple, qui sont des subventions directes à la rente, aux aides pour les handicapés, le minimum vieillesse, et bien sûr le RSA. Ce faisant, si le coût du Revenu est estimé à 30 milliards - ce qui peut susciter l'effroi de certains à la vue de notre dette publique - la rigueur intellectuelle des détracteurs du revenu citoyen serait de dire que son instauration ouvrirait la voie à la suppression d'autres aides qui coûtent autant à l'État. Il ouvrirait également la voie à une simplification des procédures d'aides sociales. Toutefois, il me paraît évident que malgré son hypothétique mise en place, les allocations familiales ne devront pas être, elles, supprimées. Celles-ci servent à maintenant la démographie dynamique, et les supprimer serait une « dinguerie » quand on voit les chiffres de la démographie espagnole, allemande, etc. Du coup, pour les libéraux, il faudrait que cette mesure soit accompagnée de la fin de ces aides, du SMIC pour se rapprocher encore plus près de leurs idées.
En outre, il est profondément liberalo-libertarien parce que fondé sur la confiance en l'homme, ce qui constitue tout de même le fondement de la théorie libérale. Le libéral fait confiance en l'homme. De fait, si le citoyen estime qu'avec 850€ il devra chômer, il chômera ; guidé par ses propres intérêts, l'État n'a pas à intervenir pour lui dire ce qui est bon pour lui. Sauf peut-être une hypothétique contrainte moral.
Ainsi donc, parce qu'il engendrerait une simplification des aides sociales, et parce qu'il se baserait sur le comportement rationnel de l'homme guidé par ses seuls intérêts, le revenu citoyen est souhaité par les plus libéraux. Qu'en est-il pour les socialistes ?

A l'heure où le chômage explose, et où les patrons ont tous les droits vis-à-vis des salariés, ce serait une aubaine pour les salariés. En fait, les gens ne seront plus obligés de se présenter sur le marché du travail : énorme révolution. L'homme n'est plus obligé d'aller sur le marché du travail, ce qui rejoint l'argument libéral selon lequel l'individu sera libre de chômer. Si l'homme n'est plus obligé de se présenter sur le marché du travail, de fait le rapport de force largement en faveur du patronat se retournera en faveur des salariés puisque ceux-ci ne seront plus contraints de travailler. Ceci étant acquis, on peut penser que cela pourrait ouvrir la voie à une augmentation de salaires puisque le chantage du licenciement cesserait de faire pression à la baisse sur les salaires. La catégorie des chômeurs disparaîtrait de fait.
De surcroît, comment ne pas souhaiter ce revenu quand on sait que les agriculteurs sont actuellement dans une situation délétère, que le salaire réel stagne voire baisse, et que cela pourrait soulager les apprentis qui travaillent dur pour un salaire peu élevé. En d'autres termes, cela pourrait être bénéfique à toutes ces classes « laborieuses » qui ont souvent du mal à joindre les deux bouts.

Dès lors, quels peuvent être les freins à son instauration ? Le recours à la théorie économique peut nous être utile. Elle postule que les agents arbitrent entre travail et loisir. Par exemple, si je vous donne 1500€ par mois à ne rien faire, il est clair que vous ne vous embêterez pas à aller travailler. Or, si on vous coupe les vivres et qu'on vous donne 200€ par mois pour survivre, là, vous serez obligé d'aller chercher un emploi. De ce point de vue, le Revenu citoyen peut constituer ce qu'on appelle une « trappe à inactivité. » De même qu'il peut créer un dualisme entre ceux qui décident de travailler, et ceux qui ne veulent pas. Certes, les SMICards et les petits revenus pourront en profiter largement, mais pour ceux qui sont au dessus du revenu médian, c'est-à-dire 1500€, il n'y aura rien. Or, la classe moyenne se situe juste un peu plus au dessus de ces 1500€, ce sera elle donc, qui devra une nouvelle fois fournir un effort financier supplémentaire sans en profiter.

En tout état de cause, le Revenu citoyen est sujet à de nombreux débats : délivrant l'homme de la contrainte du travail pour certains, favorisant l'assistanat pour d'autres. Facteur de dépenses sociales mirobolantes pour certains, possibilité de réduction pour d'autres. Démagogie pour certains, changement de société pour d'autres. C'est d'ailleurs sur ce sujet phare du programme présenté par Villepin que certains sont entrés en conflit avec lui comme Daniel Garrigue, pourtant proche de lui et estimant  que « cette mesure allait dans le sens de l'assistance, nous émettons des inquiétudes sur son coût : 30 milliards d'euros. » Bref, le Revenu citoyen n'a pas fini de faire parler de lui.




M. Dominique De Villepin, dans un discours proposant notamment l'instauration de ce Revenu citoyen.

vendredi 1 avril 2011

Fiction politique

En ce chaud matin d'avril, les secousses politiques n'en finissent plus de surprendre les observateurs, les politologues, les économistes et même les électeurs. En effet, de nombreux hommes politiques ont subitement changé leurs idéologies et ont enfin pris compte les réalités qui s'imposent au peuple. L'auteur présente ici un florilège de quelques personnalités.

Étrangement, Dominique Strauss-Kahn a enfin pris conscience qu'il n'y aura jamais de gouvernement mondial, souhait qu'il émet depuis des années déjà. En effet, il a compris - non sans mal - que les Nations étaient en fait le cadre le mieux approprié pour assurer la démocratie et la prospérité. Il a compris qu'il était utopique de rassembler des nations aux cultures différentes, aux religions différentes, aux histoires différentes, aux structures économiques différentes - ici, le cas de l'euro est criant de vérité - (...) dans un hypothétique gouvernement mondial sensé standardiser les Nations. En outre, il prendra en contre-pied Michel Rocard qui estime que « les souverainetés nationales entrent dans la période de nuisance », en expliquant justement que les Nations sont encore les seuls remparts face à la jungle libre-échangiste qui détricote les acquis sociaux, qui est responsable d'un chômage de masse dans les pays (ex?)industrialisés et peut conduire à de graves troubles sociaux.




M. Strauss-Kahn - mais on peut également citer Jacques Attali - renoncera-t-il un jour à son impossible gouvernement mondial ?


Jean-Claude Trichet a enfin compris que la France pâtissait d'un euro trop fort qui étouffait son économie. Il a écouté des économistes européistes comme Christian Saint-Étienne qui admettent que la France a effectivement « besoin d'un euro faible pour relancer son industrie morose ». Faisant fi des statuts de la BCE, il décide de monétiser massivement les dettes grecques et portugaises afin d'éloigner les spéculateurs d'une part, et de permettre à l'euro de baisser de l'autre. Ainsi, cela constituera une réelle bouffée d'oxygène au sein de la Zone euro qui  participera largement à la décrue du chômage de masse en France notamment.

Olivier Besancenot, pour sa part, a enfin compris que « la politique se faisait sur des réalités » pour reprendre les termes du Général de Gaulle, et non pas sur des bons sentiments tantôt humanistes, tantôt droit de l'hommistes. De fait, il a compris que l'immigration était un moyen pour les grands patrons de faire venir une main d'œuvre peu revendicative et plus docile afin de faire pression à la baisse sur les salaires locaux du fait de la concurrence que se livrent les travailleurs entre eux. Chacun peut voir les effets de la concurrence au sein de l'Union européenne même : le chantage à la délocalisation ouvre la voie à des salariés plus «compréhensifs » sur le plan des revendications salariales et du temps de travail. Le cas Siemens en Allemagne en fournit un merveilleux exemple.

François Hollande renonce à l'idée selon laquelle il serait normal, pour l'État, d'emprunter à la BCE pour financer les dépenses d'avenir. Il prendra parti contre l'article 123 qui interdit à la BCE de prêter directement aux États sans passer par la case banques privés qui n enrichissent qu'une petite poignée d'oligarques financiers sous couvert de rationalité économique.

Marine Le Pen a elle aussi compris quelque chose : surfer sur les passions populaires n'a jamais fait un programme politique. Ainsi, un parti ne peut pas se réclamer du libéralisme, voire du Libéral-conservatisme reaganien en période socialiste - héritage de Poujade et de sa révolte anti Fisc ; et d'autre part, 20 ans après, se réclamer du dirigisme par l'invocation systématique d'un « État fort ». Elle a compris, surtout, que dans une période de grave crise identitaire et économique, il fallait rassembler les français plutôt que de chercher des motifs pour les diviser.

Enfin, le gouvernement français actuel a compris, en écoutant Emmanuel Todd que «  les français étaient malheureux ». Ceci est une phrase vraie et reflétant bien la réalité : chômage de masse, exclusion en augmentation, et allocataires de minima sociaux toujours plus nombreux. On peut d'ailleurs faire un rapprochement avec le vote Front national. Prenant acte de la situation catastrophique du pays, il décide de prendre des mesures exceptionnelles : arrêt provisoire des régularisations de clandestins, redressement d'une école fondée sur le mérite personnel, ce qui passera par une politique de moyens et d'efficacité de sorte que l'investissement en R et D soit au moins doublée d'ici 2014. Prenant acte du manque de dynamisme des PME le gouvernement prend la décision de baisser les charges qui pèsent sur les vrais créateurs d'emplois. Enfin, il décide d'allouer plus de moyens à la police et à la justice afin de préserver la sécurité des français, qui reste le premier « bien public » du peuple.

Malheureusement, cette politique fiction ne durera que le temps, d'un premier avril.